C’est un « lieu », Saint-Germain-des-Prés, une abbaye au cœur de Paris. C’est aussi un non lieu, une âme, une utopie dont chacun prend la part qu’il veut. Elle n’est pas toute seule, l’âme de Saint-Germain-des-Prés, elle éclate du rire de milliers de gens qu’on a perdus de vue : Juliette Gréco, Françoise Sagan, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Boris Vian, Jacques Prévert, Hemingway, etc. Elle peut même éclater en sanglots quand on lui dit : Untel, tu sais pas ? Il est parti. Untel est parti : Untel est arrivé. La fête a le cœur gros, elle en a vu d’autres… Gérard Fromanger s’est absenté pour toujours il n’y a pas une semaine. Le peintre, oui, le compagnon d’Anna Kamp. Le génie de la couleur et du trait vivant, une fantaisie d’éternel enfant. Il avait connu Picasso, Godard, Nougaro, Prévert, tous les artistes cités plus haut, et bien sûr roulé sa bosse à Saint-Germain-des-Prés dans les années où c’était nuit blanche à discrétion tous les soirs. On cuvait dans la journée, à l’époque, on la jouait plus ou moins sérieux. Les écrivains écrivaient au Flore, aux Deux Magots, les éditeurs agitaient des contrats chez Lipp, les m’as-tu-vu péroraient, les badauds ouvraient des yeux ronds, on attendait la nuit : la nuit qui danse et chante et fume à tombeau ouvert en attendant Godot. Et ne sait jamais de quelles amours elle se réveillera aux pâles heures… Gérard est parti, Gérard Fromanger, ça me brise le cœur – que la fête commence ! 

Yann Queffélec

Photo © Bruno Levy

La Mer et au-delàCalmann-Lévy, 216 pages

Prix Goncourt pour « Les Noces barbares », Yann Queffélec, le plus marin de nos écrivains, signe son dernier opus en hommage à Florence Arthaud. Les liens forts qui les unissaient renforcent la poésie et la tendresse d’un livre choc et sans concession.

La Mer et au-delà – Calmann-Lévy, 216 pages