J’étais au fond du potager quand Nicolas m’a appelée. « Tu as pu réserver ? » il a demandé. J’ai dit que non parce qu’il fallait que je monte sur le banc pour capter mais une fois le bras levé avec les oreillettes j’ai réussi à m’en sortir. C’est pas pratique quand même en Aveyron. Il était en train d’étaler le compost lorsque j’ai pesté sur la mauvaise couverture du territoire en 4G. De toute façon, il n’y avait plus de place au « Jardin fleuri », le seul restaurant du village. Nicolas a bien suggéré qu’on se fasse un apéro zoom avec les copains restés à Paris, mais le cœur n’y est plus. On leur a proposé mille fois de passer mais personne ne vient depuis qu’on a vendu notre trois pièces du Marais pour acheter 500 m2 de maison, ici, au début du deuxième confinement. C’est fou comment les gens, on a beau leur expliquer qu’on a quatre chambres d’amis qui n’attendent qu’eux, ne se déplacent pas. Et puis Ernest et Edgar, 14 ans, râlent de ne pas trouver de boutiques pour leurs baskets Nike. Nicolas a eu beau leur expliquer le principe de la décroissance, ces deux ingrats ont rétorqué que depuis notre arrivée, avec nos polaires et nos chaussures de marche, on leur fichait le « seum ». Les vertus de l’espace et des étendues vertes à perte de vue, ils s’en foutent. Tout ce qui les intéresse c’est d’augmenter le débit de la WiFi pour les jeux en réseau. « C’est pas avec ça qu’on va en faire des normaliens » j’ai dit à Nicolas, qui est passé par Henri IV. Le niveau du collège ici, ça laisse à désirer et c’est à trois-quart d’heure de bus. Depuis que nous sommes arrivés, pas un des deux garçons n’a ouvert un bouquin. Moi non plus remarque. Avec la permaculture, la traite des vaches et l’entretien du poulailler, je tombe de sommeil aux environs de 20 h 30 et je me réveille vers 6 h 30 avec le foutu coq des voisins. C’est quand j’ai commencé à faire des crises d’angoisse que Nicolas m’a prise à part. Ce qui le faisait rêver ? Un petit café dans « le VI » entre potes, les trottinettes absurdes sur les trottoirs et me revoir en talons. Ça a fait ni une ni deux, j’ai dit aux garçons d’embarquer les consoles, j’ai laissé Roger le voisin s’occuper des bêtes et on est tous repartis à la capitale. Ça fait deux semaines que nous sommes entassés dans un 50 m2 de location dans le Quartier latin, mais je n’ai pas entendu Edgar et Ernest broncher. Ils sont dehors tous les soirs avec leurs copains. L’Aveyron ? On verra plus tard. « À la retraite » j’ai entendu marmonner Nicolas.

Anaïs Ferrand