Photo © Noemie Kadaner

 

Il est facile de pleurer sur Saint-Germain-des-Prés. Ferrailler contre le luxe dégueulard, la disparition des librairies, la mort du commerce de bouche, la pandémie des grandes enseignes, les horribles marchés de Noël : tout amoureux du VIe arrondissement verse un jour ou l’autre dans la diatribe.
Mais si, pour une fois, on regardait le verre à moitié plein ?
Il ne s’agit pas de se faire l’avocat du diable (Belzébuth a acheté l’âme de ce quartier il y a une bonne trentaine d’années) mais de jouir de ce qui reste inchangé. Malgré tant de coups du sort, Saint-Germain conserve une magie bien à lui. Il suffit d’ouvrir les yeux et de prendre un brin son temps…
La rue de Buci est l’ombre de son passé, mais le Chai de l’Abbaye est toujours là, pour dévorer un sabodet lyonnais arrosé d’un verre de Beaumes de Venise. Le marché Saint-Germain héberge une pomme croquée, mais le rognon et la compote du Bistrot d’Henri, rue Princesse, n’ont pas bougé depuis quatre décennies. Les couleurs du Luxembourg, aux premiers feux du printemps ; la douceur de la place de Furstemberg, quand on la traverse de nuit ; la noblesse italienne de Saint-Sulpice ; l’ombre d’Athos, rue Férou ; l’étroitesse médiévale de la rue Visconti ; le mille-feuille de Lipp, à l’heure où il faudrait se coucher ; et puis ces cours, ces venelles, ces impasses, oubliées du temps et des passants.
Mon plus grand regret reste toutefois la fermeture d’un des derniers secrets de la Rive Gauche : la cour de Rohan. Toute ma vie j’ai traversé ce vestige du temps des mousquetaires, dont les habitants ont fermé les grilles il y a un an. Paris et moi ne sommes pas près de leur pardonner. 

Dernière parution : Marthe ou les beaux mensonges, une biographie romancée de Marthe Richard, chez Calmann-Lévy.