Pendant quelques mois, sur Tinder, vous avez été fleur bleue…

Vous croyez que personne ne vous a vu ? Vous pensez vraiment que vous avez été seul à swiper pendant le confinement, enfoncé dans votre fauteuil, lit, canapé, vautré sur votre tapis ? Avant, vous sortiez en soirée, vous alliez dîner chez des amis, vous preniez des verres dans des cafés et puis, un jour, le monde s’est mis sous cloche. Les relations sont devenues à risque. Vous n’avez plus croisé que des personnes masquées. À quoi ça ressemble un coup de cœur physique quand on a juste les cheveux, les sourcils et les yeux pour repères ? Donc vous avez fait partie de ceux qui ont fait exploser, cette année passée, les inscriptions sur les sites Once, Tinder et Happn. Vous avez swipé à droite et à gauche pour voir des photos de gens avec tout le reste auquel vous n’aviez plus accès : une bouche, un nez et un menton. Vous êtes devenu l’une des 3 milliards de personnes qui se sont connectées à Tinder dans la nuit du 29 mars, record absolu pour l’appli. Un peu moins de la moitié de la population mondiale, donc. On vous a vu taper des phrases sur Google pour vérifier votre français et tenter des approches écrites. Des statistiques ont démontré que vous avez passé 23 % de temps de plus qu’à l’ordinaire à converser sur les sites après une prise de contact. Vous êtes passé de « Salut, ça va ? » à « Tu pourrais me décrire l’endroit où tu te trouves avec des mots commençant tous par R ? ». Vous êtes devenu inventif, sophistiqué, exigeant, intéressant devant votre écran. Avant, c’était l’action qui vous plaisait, après ça a été la réflexion. Vous vous êtes mué en pro de l’épistolaire descriptif, suggestif. Vous n’aviez plus trop le choix, il faut dire. C’était ça ou l’amende à 135 €, le couvre-feu avec obligation de coucher sur place quand, autrefois, vous renvoyiez l’autre vite fait au grand mercato de la séduction d’un élan de fuite Navigo pour continuer à sillonner la mer des rencontres au tempo de la devise du fluctuat nec mergitur parisien après un plan d’un soir. Avant, la solitude c’était cool et sexy. Vous tapiez dans un arbre inauguré par Anne Hidalgo et quinze célibataires vous tombaient dessus avant de vous quitter. Quand vous avez délaissé Youporn pour des téléfilms sentimentaux niaiseux sur Netflix, on a su que c’était cuit. Pendant que vous fixiez des « dates » en vidéo Whats­App, Google Meet ou Zoom, à un moment, vous avez même pensé adopter un chat ou un chien pour avoir une vraie présence à vos côtés. Et puis, un jour, en pleine crise sanitaire, vous avez envisagé de quitter la ville pour la campagne. Croiser les rats des champs plutôt que ceux de l’île-de-France grouillants aux abords des poubelles débordantes. Vous avez rêvé d’une relation sérieuse, de faire des enfants, de fonder un foyer. Le monde a changé, vous aussi. Vous êtes devenu le célibataire du monde d’après, prêt à s’engager. Enfin ça… c’était avant qu’on ne vous parle du vaccin. Parce que, assez rapidement, vous avez entrevu des perspectives. Pendant que vous vous désabonniez de Maison & Jardin et des moteurs de recherche immobilière pour un pavillon en banlieue, l’annonce de la découverte des laboratoires Pfizer et Moderna n’a pas fait remonter que les cours de l’action. Celle de votre libido aussi. Vous avez repris du poil de la bête de sexe. D’ailleurs c’est le jeu de mots bien lourd que vous venez de mettre sur votre profil Tinder. Qui vous désire, vous suive… Après tout, vous avez une année à rattraper

Anaïs Ferrand